10.2.11

Christian Lacroix, à livres ouverts...

Le Livre de Poche a donné carte blanche au couturier pour illustrer neuf romans de son catalogue.


Mes livres avant les mots
"Mes grands-parents le faisaient toujours décrire les images au dos des Petits Livres d'or pour apprendre à parler. J'ai appris à lire avec Monsieur Chien. Beaucoup d'ouvrages sont partis à la poubelle pendant les déménagements, mais celui-ci je l'ai toujours gardé : l'histoire d'un chien qui recueille un jeune vagabond, et je rêvais d'être ce gamin ! Quand j'ai rencontré ma femme, Françoise, on s'est rendu compte qu'on avait deux albums emblématiques en commun : L'Ours Michka, un petit livre édité alors par le Parti communiste, et Boucle d'Or et les trois ours, héroïne qui lui ressemble sur ses photos d'enfant. J'ai même passé ce livre à Garouste et Bonetti lorsqu'ils ont conçu les salons de ma maison de couture, en 1987, parce que je me souvenais des meubles en bois un peu trappeur, des morceaux de troncs d'arbre et des patchworks, ces décors exotiques pour moi et qui me plaisaient tant."

Ma première couverture
"En cours de dessin, j'adorais quand le thème était libre et j'imaginais toujours des couvertures de livres. À 7 ans, à l'école de Trinquetaille, j'ai gagné le premier prix pour celle de Barbe Bleue et je me suis dit dès ce moment que je serais plus tard illustrateur de livres. Ça m'a tenu jusqu'à la fac. Si j'étais né plus tard, j'aurais sans doute fait des études d'arts plastiques pour illustrer des pochettes de CD. Je n'ai jamais eu en tête de devenir peintre, mais toujours de dessiner au service d'un projet."

Le Livre de Poche
"Le graphisme des éditions Livre de Poche m'a beaucoup marqué dans mon enfance. Ma façon de dessiner vient de là. Dans l'appartement des jeunes mariés de mes parents en Arles, où je suis né en 1951, je dormais près de la bibliothèque familiale. Un appartement neuf dans un immeuble reconstruit après les bombardements. Je me souviens de La Nausée, de Sartre, et de La Chatte, de Colette, le deuxième titre édité par le Livre de Poche, avec ce chat angora bleu-gris sur fond vert. Des traits qui me viennent encore aujourd'hui sous le pinceau. Adolescent, j'achetais souvent des ouvrages pour leur couverture, qui résonnait comme un tableau. Le Livre de Poche m'évoque une esthétique très précise 1950-1960, avec de la gouache, de l'aquarelle, des collages. Parmi les neuf titres choisis pour ce coffret, presque tous ont donné lieu à des interprétations théâtrales ou cinématographiques, comme Une Vie, de Maupassant, le premier film que j'ai vu enfant, avec Maria Schell. De Tendre est la nuit, de Francis Scott Fitzgerald, à Emma, de Jane Austen, chacun raconte une personnalité féminine, un caractère qui induit une robe."

Les livres de mes parents
"C'était le genre de personnes à acheter chaque année le prix Goncourt, le Renaudot et tout ce qui avait trait à la région. Quand on parlait de nous, c'était bien de lire ! Dans les années 1950, on était servis : Pagnol publiait Le Château de ma mère et La Gloire de mon père... Après, il y a eu la série des Mogador. ma mère lisait aussi tout Sagan, je me rappelle Bonjour tristesse dans la fameuse bibliothèque;"

Mon premier choc littéraire
"À 11 ans, Le Grand Meaulnes, d'Alain Fournier, m'a bouleversé. Je voulais aller dans le Cher voir les lieux. En sixième, dans mon grand carnet à spirales, je l'avais illustré chapitre par chapitre. Il y avait une ambiance sensitive, une façon de décrire la nature, le château venu de nulle part... J'étais touché par cette ouverture vers le monde du rêve ou de la réalité réinventée, et je rêvais de rencontrer Yvonne de Galais. L'année suivante, j'ai lu San Antonio, La Rate au court-bouillon. C'était le tout début des Beatles et, pour moi, la découverte de cette langue décapante de Frédéric Dard allait de pair."

Arles et les écrivains
"Le jour de mon entrée en première, en 1967, j'ai rencontré Wally Bourdet, la fille du coiffeur anarchiste qui posait pour le photographe Lucien Clergue. Elle est arrivé avec une blouse polonaise, une minijupe et des spartiates argent. On est devenus copains et elle m'a introduite dans un cénacle de personnes beaucoup plus vieilles que nous, qui tenaient salon. Mon billet d'entrée, c'était de dessiner tout ce qui se passait et je laissais mes carnets en partant. Certains avaient connu Cocteau, qui venait en Arles jusqu'en 1963 et qu'on voyait dans les corridas avec Picasso. C'est comme ça que j'ai été amené à lire Radiguet, Le Diable au corps et Le Bal du comte d'Orgel. J'entendais tous ces gens qui parlaient de la connotation "wildienne" et, là, j'ai découvert Le Portrait de Dorian Gray, lu et relu. La notice au dos disait : Oscar Wilde n'aurait jamais écrit ce livre sans À rebours, de Huysmans, qui est depuis un de mes livres cultes."

Je me souviens...
"La vie mode d'emploi, de Perec, c'est tellement proche de moi, je ne peux pas avoir une conversation sans dire : "Je me souviens." Après au nom du Je me souviens, je suis tombé dans Modiano la tête la première et j'ai tout lu. Je l'ai rencontré par le biais de Patrick Mauriès et de Pierre Le Tan, et nous correspondons régulièrement. Quand on se voit, il y a toujours ses phrases qu'il commence sans les terminer et dont, pourtant, je comprends tout."

Le jeu des mots
"Le choc de la langue réinventée a été un moteur dans mes lectures, dès Frédéric Dard. Celle de Joseph Delteil, un auteur peu connu dans la mouvance des surréalistes, m'a touché pour ses tournures baroques et en même temps assez classiques. Il y a eu Tournier, Le Roi des aulnes, Vendredi ou les limbes du Pacifique, ce lyrisme contemporain et très maîtrisé, un peu opulent. Le hasard fait qu'à Arles il a acheté un appartement près du théâtre antique, où a vécu l'une des premières filles dont j'ai été amoureux. J'y allais à la sortie de l'école, les murs de sa chambre étaient très tapissés de mes dessins. Dans un tout autre registre, j'aime beaucoup Christine Angot. Quand je la lis, j'ai l'impression de l'entendre. C'est important, la voix d'un écrivain ; elle induit une manière de lire, par le rythme et l'intonation. Mais ma plus forte expérience de langue remaniée a été avec Guillaume Dustan. J'ai été happé, même par les choses qui pouvaient paraître pénibles. Je l'ai juste croisé un jour il était avec sa mère et déjà malade. C'est toujours difficile de dire à quelqu'un : "J'ai tout lu de vous." Pour moi, c'est un rendez-vous manqué."

Mes histoires du costume
"En 1958, ma grand-mère m'a offert ma première histoire du costume et je l'ai encore en tête. Il y avait aussi Les Styles, de Philippe Jullian. Beaucoup de choses sont venues de là. J'étais frustré que ces descriptions s'arrêtent au milieu des années 1950 et je me disais qu'il fallait écrire la suite. Ce que j'ai fait plus tard avec Patrick Mauriès. J'ai toujours été passionné par le costume comme reflet d'une époque et de l'imaginaire des gens, par la manière dont on se projette dans un monde meilleur à travers un tissu et une ligne. Les charnières, le passage d'une mode à une autre me fascinaient. J'étais à la saison près dans mes reconstitutions. Je feuilletais les premiers Marie Claire reliés de 1937 et 1938, les albums de famille, et j'étais comblé. Toutes ces recherches, je voulais les mettre au service du cinéma en devenant costumier. Etudier l'apparence et le décor des gens est encore ce qui me passionne le plus aujourd'hui. La vie quotidienne, plus que la grande histoire."

Interview de Styles

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